Aujourd’hui c’est le 3 février 2014 et il fait un temps superbe, c’est rare en ce moment.
Il faut que je sorte prendre l’air, ça me fera du bien. Je décide d’aller faire un tour au terrain de Pérouges pour dire bonjour aux copains que j’ai là-bas. Ça me distraira et entretiendra les relations que j’ai toujours eues agréables avec eux. Ma calèche me débarque au parking, je repère tout de suite la tire de mon moniteur préféré, François. Chic, il est là.
Du coin de l’œil j’aperçois aussi le Pitts jaune de Jean Pierre. Donc il est là aussi. Ô comme j’y vois beau mon petit passage sur le gazon pour saluer mes copains.
Je n’ai pas fait 6m sur la terrasse du club house que je croise Jean Pierre qui me serre la main en me disant : « Bon ben on le fait ce tour de Pitts, depuis le temps que je te le propose ? »
Je ratatouille pour répondre parce que j’ai une crève d’enfer, j’ai les 2 narines bouchées, je me déplace avec une cartouche de kleenex et je suis courbaturé un maximum car depuis 2 jours je joue le bûcheron tronçonneuse hurlante en mains.
Je suis donc un peu beaucoup sur la jante. Fait pas bon vieillir, me dis-je, mais je me dis aussi que je n’ai pas volé depuis le mois d’Octobre, mon Tempête fait de l’endurance poussière dans le hangar, il attend sa nouvelle batteuse toute neuve et sa nouvelle batterie. Aussi je m’entends lâcher à JP : « Eh ben écoute, c’est OK, ça me fait vraiment, vraiment très plaisir, je n’ai jamais mis mes fesses dans un Pitts, ce sera donc mon baptême avec cet avion et aussi mon premier vol 2014. »
« Eh ben on y va », me retourne JP. Je pose mon galurin et ma veste chaude dans ma calèche, je garde mon écharpe. Jean Pierre me fait enfiler un parachute et m’explique comment pénétrer son Pitts… Y’a pas d’autre mot pour expliquer mon installation en place avant de ce biplan de légende. Heureusement que JP est là pour me faire replier la jambe suffisamment pour passer mon brodequin gauche par-dessus l’ouverture du cockpit. Moralité on ne monte pas dans un Pitts avec des courbatures et des pompes d’hiver, montantes elles, et surtout trop rigides.
JP met un certain temps à m’installer dans son cockpit, je suis trop haut, donc il court me chercher un coussin moins épais et me fait bien centrer les fesses dessus et je pige pourquoi : il faut laisser le passage, à ses pieds à lui, entre mes miches et les cloisons du fuselage. Bref, ça y est, je suis ajusté, c’est le mot juste, mais je touche à peine les palonniers et n’arrive pas à les enfoncer, souplesse de brodequins oblige. Si un jour je remonte dans un Pitts, c’est en short et en baskets et sans courbature. J’ai le tableau de bord tout juste devant le nez, avec la parallaxe je peux voir sur le coté des aiguilles. Je repère la seule pendule qui m’intéresse, le badin à l’extrême gauche, y’a des mph et des Kt , dur dur !
Jipé met en route. Tous les cylindres sont là, et il roule. Alors là je suis bluffé immédiatement. Quel confort au sol cet avion ! Je ne sens aucune secousse vraiment c’est hyper bien amortie cette suspension, je me dis que ça doit pouvoir décoller sur un champ de taupinières ce truc.
Ca y est, c’est chaud, JP s’aligne et gaz ! Ça pousse sympa, et de chaque côté de mes miches frottées par les pompes de JP, j’évalue son travail pour garder le cap sur la piste. Je pige qu’aller droit en lâchant les 200 canassons du Lycoming demande une certaine attention. En plus on ne voit pas la piste devant le capot, c’est bouché. Il faut donc regarder sur les côtés et tirer tout droit en alignant les balises symétriquement sur les bords. Hop, ça y est, la bosse de la piste de Pérouges nous balance en l’air, on est « airborne » comme disent les rosbifs. Mais je ne vois toujours pas où on va. Devant il n’y a que 2 trucs à apercevoir, ce sont la jauge à essence et le bouchon du réservoir. C’est vrai qu’on est en pente de montée, mais quand même. JP rattrape le triporteur Neuneu, c’est le PA28 Novembre 2 fois des Anges (ANEG, mais faut inverser les 2 dernières lettres) dans lequel monite François. On va lui dire bonjour et on met le cap sur la Tranclière.
« Les commandes sont à toi » me dit JP. Je suis content de l’info mais je suis hyper déçu de voir que je n’arrive pas à manœuvrer les palonniers comme je veux, à cause de mes godillots. J’essaie d’enchainer 2 ou 3 virages pour voir mais j’ai de la peine à coincer la bille au milieu car je manque cruellement d’aisance aux pieds. Jean Pierre s’en rend compte tout de suite et me dit : « Attends, tu vas voir, je vais te faire un virage à grande inclinaison comme ça tu te rendras compte de la chose ».
Avant qu’il attaque je regarde par instinct le badin : un bon 100kt pour 2400rpm. Et c’est parti, JP bascule sur la tranche et tire. Et il tire l’animal ! Je surveille le badin et je vois l’aiguille qui dégringole à une vitesse impressionnante, elle suit le gradient du virage en fait. Jipé ne peut pas terminer le 360, au bout des 270° le Pitts buffete et tend à retomber à plat avec un badin au voisinage des 60kt. Eh ben mon vieux ! Je me dis tout de suite que cet avion est extrêmement sain s’il buffete et retombe à plat, c’est extrêmement sécurisant, par contre la bestiole demande à être gérer au niveau cinétique, ça c’est une évidence.
« A toi les commandes » me redit JP. Je reprends le manche et mets La Tranclière devant moi. Tiens voilà autre chose, l’alti descend, donc je tire un chouia pour stabiliser l’aiguille et découvre que pour voler à plat avec ce jouet, eh bien il faut tout simplement cacher sous le nez là où on veut aller. Suffit de s’y faire, mais je n’y suis pas habitué et je pige donc tout de suite pourquoi cet avion vole aussi bien sur le dos que sur le ventre, profil symétrique oblige. Conclusion à l’instant t : pour naviguer en Pitts et voir ou on va, y’a qu’à se mettre sur le dos, fallait juste y penser. JP qui vient de piger que je viens d’avoir cette révélation reprend le manche et me fait un petit vol sur le dos avec un petit virage et là effectivement j’ai une vue panoramique tout à fait correcte… Comme j’ai une crève d’enfer, je sens que ça bourre dans mes oreilles et mon nez, j’ai emmené mes kleenex, donc j’en profite pour me moucher sur le dos, ç’est une première pour moi, mais Ô surprise, ça me dégorge les sinus et tout le toutim d’un seul coup. Kleenex rempli à ras bord que je me coince discrètement dans la manche. Tu parles d’un médicament de « first quality », un Pitts à l’envers.
Du coup je me sens bien mieux.
JP me dit : « Bon ben je vais te montrer la boucle et le tonneau ». Il affiche 2500rpm et 120kt me semble-t’ il, mais j’ai beaucoup de peine avec la double graduation…. Moi au feeling fessier, j’en aurais bien mis un peu plus, mais je n’ai pas le temps de trop y réfléchir que déjà JP souque. « Putain », comme il tire ! Je me dis que le badin il ne va pas aimer du tout. Houlà, je regarde son aiguille qui file dans les choux à une vitesse que je n’aurais jamais imaginée. Quant à la boucle, c’est du très vite torché, j’ai l’impression d’être dans un ULM (un nu, elle aime) je suis sûr qu’on a pris au moins 4G presque en permanence. C’est viril ce piège.
Quant au tonneau : là aussi ça dépote, on sent qu’avec 4 ailerons on va pouvoir presque rattraper la batteuse.
Je me dis : Ah ben dis donc, ça c’est un vol découverte, ça envoie ce truc !
« Aller Pierre, c’est à toi », me dit JP. Je suis ravi mais aussi anxieux : n’ayant pas volé depuis plus de 3 mois, je me demande si je vais encore savoir faire, surtout avec un avion inconnu au pilotage spécifique. Je me décide pour une première boucle toute bête. Je prends un badin confortable, j’attends que l’aiguille soit dans le jaune, c’est plus simple à lire que les kt et les mph, j’entends JP qui me dit que c’est bon pour la vitesse depuis déjà un micro certain temps… Et je tire doucement… Et je suis ravi car je sens qu’il perd moins d’énergie, la montée est plus longue, plus ronde qu’avec JP qui quand on « tope » la boucle ne peut s’empêcher de me chuchoter : « Ah ben mon pote, il était temps qu’on arrive en haut ». Je jette un cil au badin : 60 « quelque chose » sur le dos. Je me dis qu’on doit pouvoir faire moins et je laisse presqu’un filet d’apesanteur avant d’attaquer la descente qui se fait dans une douceur agréable, le Pitts reprend de la vitesse et je ressource. Cool !
J’essaie un tonneau à gauche : c’est une formalité. Cet avion est fait pour tourner autour de son axe de roulis c’est une évidence. Mais la gestion de l’énergie du Pitts me tarabuste les neurones. Il faut que je fasse un enchainement d’au moins 3 figures qui ne me demandent que peu d’actions aux palonniers because je ne peux pratiquement pas m’en servir, ils sont trop loin et je ne peux pas déplier mes chevilles. Putains de pompes !
C’est parti. Je sens que JP est vigilant derrière moi, il saura botter s’il le faut plus que je ne pourrais le faire, donc confiant je prends du badin. Comme tout à l’heure je mets l’aiguille dans le jaune et je tire doucement. « Copié collé » en fait, on arrive en haut très sain et sauf bien à plat sur le dos, pas de buffeting avec un badin presque comateux, pur bonheur, et on replonge. J’adore cette partie avec la vision de l’aile supérieure qui balaie le paysage en dessous, c’est un sacré repaire pour voir si on est bien axé. Je laisse un poil plomber le Pitts, voilà l’aiguille qui revoit la vie en jaune et je cabre, souple, pour barriquer cool à droite. J’entends JP qui réagit: « Hein, heuuh, ah ben ouais, pourquoi pas à droite… ». Je suis content de ma barrique, je l’ai réussie car j’en ressors avec l’aiguille du badin dans le jaune prêt pour un rétablissement tombé histoire de revenir sur nos pas. Ça passe très cool et me rends compte que ce Pitts, c’est un vrai vélo. Un vélo tout azimut capable de rouler aussi bien sur des murs perpendiculairement à ceux-ci, ou bien à l’envers collé au plafond. Et ce avec n’importe quel style de pilotage : à la cool pour faire élégant, à la virile pour se faire pétillance, voire à la brutale pour se faire des sensations fortes. Une bête de vol, ce truc…
Y’a plus rien à inventer dans le genre, me dis-je.
Encore 1 truc ou 2, et on rentre. J’aime bien le retour car je vois là où on va, c’est normal on a une petite pente de descente pour rattraper le terrain depuis notre altitude d’évolution. Un avion à vivre dans toutes ses positions, quoi !
On fait une petite barrique au-dessus de la piste histoire de voir si elle est propre. Voilà !
Et JP reprend le manche pour poser.
Qui n’a jamais approché avec un Pitts n’a jamais vraiment fait d’approche. C’est à vivre.
Il faut faire l’impasse sur ce qu’on a appris avant et donner la priorité à la vision de la piste avec une bille tombée dans le coin du tube. JP nous fait une approche décalée, comme il a annoncé dans le mike, en glissant à gauche.
Avant de faire ça il faut bien avoir regardé s’il n’y avait personne qui trainait en finale sur la droite parce que pendant la finale à soi-même on ne voit rien à droite, c’est normal, ça fait partie des défauts attachants, voire envoutants du Pitts.
Arrondi classique, touché sans visibilité, la piste est sous les roues c’est la seule certitude du moment instantané et roulage. Alors là, je réalise que si j’avais été une gonzesse avec un popotin donc plus large je serais sortie de ce piège avec des bleus aux fesses. Je les sens vraiment passer les tatanes à Jean Pierre, il fait au moins du 42, lorsqu’il tracasse ses palonniers pour garder le cap. Y’a du boulot, ce n’est plus un vélo à la décélération au sol, c’est une savonnette turgescente lancée sur une toile cirée imbibée d’eau.
Parking, grand merci JP, débriefing avec François qui est encore au terrain. Ambiance sympa. J’aime. Je suis enchanté car je sais maintenant, que je saurais m’osmoser avec un Pitts…
En écrivant cette dernière ligne, j’ai honte. Je m’aperçois maintenant que je n’ai même pas payé à boire à mes potes du pet rouge. Shame on me !
On se sépare pour rentrer chez nous respectivement. Dans ma bagnole je reluque ma cartouche de kleenex et je me rends compte que mon nez est totalement débouché, mes oreilles sont claires. J’ai une révélation : un tour de Pitts avec la tête en bas et quelques G négatifs est un sacré médicament pour se dégorger d’une crève. C’est sûr que la prochaine fois que je vais voir mon toubib je vais lui demander de me faire une ordonnance pour un quart d’heure de Pitts et s’il tique un peu je lui dirais que la séance est d’une efficacité redoutable par rapport à un antibiotique et qu’elle se doit d’être remboursée par la sécurité sociale et en prime que dans le Pitts de mon pote Jean Pierre, eh bien, sur le tableau de bord il y a une fente pour insérer sa carte Vitale.
4 et 5 février 2014, Pierre Missol, dit le barde de la Jurca Air Force
PS : j’aime bien rouler à droite alors que c’est plus facile à gauche, je parle d’un tonneau ou d’une barrique en avion, pas en bagnole. Eh bien ce n’est pas pour ne pas faire comme tout le monde, non, mais tout simplement parce qu’en allant à contre couple moteur, la figure est plus douce, plus longue et plus arrondie. Elle prend plus de temps aussi. Donc, en cas d’urgence pour placer une figure « roulis », je peux la tourner à gauche, et c’est transparent pour le spectateur lambda.